Il existe un nombre faramineux de formes, de styles, d’écoles de Tai Ji Quan.
Rien que dans notre style « officiel, » il y a la forme 8 mouvements, la 16, la 24, la 88 sans parler des deux formes 48 et 42 (même si elles ne sont pas du Yang « pur sucre », elles font partie du package !) et une dernière née, la 26. Alors, si on y ajoute une ou deux cuillérées d’épée (18 et 32 par exemple sans parler de la 42 ni de la « new classic »), une pincée de sabre (13 postures), deux ou trois feuilles d’éventail et qu’on touille tout ça avec une petite lance ou un bâton… on a bien de quoi occuper une vie et même plusieurs !!!
Il ne faut pas cependant, et même si cela est tentant, succomber à la collectionnite aigüe…
C’est une maladie qui se répand assez facilement par contact (« Tu as vu, eux là-bas, ils connaissent celle-là et nous non, allez, il faut qu’on s’y mette ! ») et même au seul visuel (« Wouah, elle est vraiment intéressante cette forme, il faut absolument que je l’apprenne ! »). Il ne faut pas sous estimer non plus la dérive de la collectionnite qui peut facilement dégénérer en melonnite chronique (« Ouais ! Moi, je connais plein de formes, et plein de styles aussi- et pas toi, et paf !")
Xiao Long connait la collectionnite (il en a été atteint comme tous les enthousiastes !) et il vous rassure : elle n’est pas incurable, si on prends le temps de s'arrêter cinq minutes et si on est (… devient) raisonnable.
Voilà le mot lâché ! Le temps…
Car, accumuler simplement des formes comme on pose des timbres de couleurs dans un album, ce n’est pas si compliqué avec un peu de mémoire. Mais, il est frustrant souvent d’apprendre une forme puis de devoir l’oublier aussi sec pour en apprendre une autre que l’on aura pas le temps d’approfondir avant de passer … à la suivante !
Alors, si on souhaite progresser en douceur, sans torturer ses neurones, sans faire exploser son planning, l’apprentissage d’une forme peut s’envisager selon ces étapes :
Apprendre une forme :
Une bonne mémoire visuelle, une belle régularité dans la pratique et un peu d’huile de coude sont suffisants pour apprendre une forme. Cette phase peut durer plus ou moins longtemps, nous ne bénéficions pas tous des mêmes facilités d’imitation. Gérer le corps dans l’espace, coordonner, demande un réel travail de concentration. Chacun doit prendre son temps, ne rien bousculer : il n’est pas raisonnable de vouloir poser le toit de la maison s’il manque un pan de mur ! Il faut avancer à son rythme propre sans se décourager.
Et on est content à chaque « pas » réussi ! Car tant que l’on se pose des questions sur le mouvement qui va suivre, (« C’est lequel déjà ? », « Comment j’avance là ? Zut, c’est quel pied ? », « Mince ! C’est le bug complet : Qu’est-ce que je fais après ! »). Enfin, le niveau 1 est atteint, les pièges sont déjoués et on sort des oubliettes !
Connaitre une forme :
Une fois mémorisée, la forme est connue, « en surface ». On sort des geôles, le châtelain nous libère ! C’est un peu comme une « récitation » par cœur : elle est encore « légère », un peu « coquille vide ». Mais on apprécie déjà de ne plus avoir à froncer le sourcil en permanence et on a le sentiment d’avoir réussi quelque chose. La phase digestive s’annonce bien…
Approfondir une forme :
Voilà qui commence à devenir très intéressant ! Il n’y a plus de question réelle sur l’enchainement proprement dit… et une foule d’autres choses surgissent. On se sent bien en faisant cette forme, mais la tête reste active et on peut commencer à « remplir » vraiment la coquille…
On détecte alors les mouvements où l’on n’est pas 100% à l’aise et on cherche l’origine jusqu’à trouver la respiration juste, la bonne position du corps, la finition juste…
On sort la loupe et on peaufine : quelle est/sont la/les finalité(s) martiale(s) de ce passage, est ce que mon mouvement est cohérent avec ces interprétations ? On envisage aussi le point de vue énergétique, cet insaisissable, on « s’écoute », on affine les sensations… Bref, on creuse ! On ne creuse pas tous pareil, ni dans la même direction… peu importe, ce qui compte c’est de creuser… Et on atteint le niveau 4, le donjon !
S’approprier une forme :
On a bien gratté et on commence à personnaliser « sa » forme. On a fait des choix dans les réponses à nos questions et on va opter pour ce qui « nous » parle le plus. Voilà ce qui explique les différences de réalisation d’une même forme, chacun s’y investit et donne un accent particulier à la forme… et quoiqu’on en dise, c’est bien.
Cela ne signifie pas que tout est fini : il faut savoir retourner vers les fondamentaux régulièrement pour éviter d’aller trop loin et « dé-former » les mouvements, il faut prendre le temps toujours et encore de vérifier la cohérence martiale et énergétique de ce que l’on s’est approprié. Nous voilà dans l’escalier à vis (sans fin) qui monte vers le sommet du donjon !
Apprécier, profiter du travail accompli.
Il n’empêche qu’on peut s’arrêter tranquillement (à chaque meurtrière !) et admirer le paysage : on est de mieux en mieux et on ne va pas bouder notre plaisir ! Bref, c’est le nirvana du pratiquant, il ne réfléchit plus… il ressent, il flotte ! (Non, il n’a pas mis la main sur une des plantations de l’herboriste !).
Attention cependant à l’ivresse des sommets !
Il faut accepter que les autres, partis dans d’autres directions, s’épanouissent aussi et ne pas vouloir imposer son propre chemin en pensant qu’il n’y en a qu’un et que c’est uniquement celui-là le bon !
Humilité et ouverture d’esprit restent les qualités fondamentales du pratiquant qui gravit les marches de cette tour (pas infernale du tout !).
Et une petite table ronde de temps en temps avec les autres chevaliers permet d’échanger les idées et les expériences…
Et on s’aperçoit alors que l’on est encore un tooooout petit dragon qui a bien des choses à apprendre… et c’est tant mieux ! !!