Nous avons déjà brièvement abordé le sujet, mais il mérite un petit détour supplémentaire !
"Zhuangzi rêva qu'il était papillon, voletant, heureux de son sort, ne sachant pas qu'il était Zhuangzi .
Il se réveilla soudain et s'aperçut qu'il était Zhuangzi.
Il ne savait plus s'il était Zhuangzi qui venait de rêver qu'il était papillon ou s'il était un papillon qui rêvait qu'il était Zhuangzi."
Ce "rêve" de Zhuangzi, date du IVème siècle avant notre ère et fait partie d'un recueil de contes allégoriques, de fables, de paraboles qui contiennent tout l'esprit du Tao.
Le Zhuangzi, 莊子, est une des œuvres majeures du taoïsme avec le Dao de jing (Lao Zi).
Même les experts ne savent pas d’ailleurs lequel de ces ouvrages a précédé l’autre, mais ce n’est pas forcément le plus important dans cette histoire… ce sont des textes incontournables de toute façon.
Et comme souvent pour des œuvres aussi anciennes, certains pensent qu’il s’agirait de textes écrits par Zhuangzi – mais pas que ! Il y aurait aussi d’autres auteurs, ce serait une sorte de « compil », le fait qu’il s’agisse de petites saynètes autour d’une même thématique va dans ce sens…
Zhuangzi cependant a bien existé, né dans l’Etat de Song (Henan), il a vécu à l'époque des Royaumes Combattants dans le royaume de Chu. Il aimait la nature. Petit fonctionnaire (surintendant du jardin d’arbres à laque), il décline l’offre du roi de Chu d’occuper un poste très en vue et se retire loin de la cour pour vivre de la vente des sandales en paille qu’il tresse, puis voyage à travers les états sans rechercher succès, renommée ou richesse.
Ce recueil rassemble donc de petites histoires qui ne sont pas dénuées d’humour, le ton y est parfois un peu provocateur. Il est agréable à lire, et nous laisse pensif !
Il invite l'homme au Wuwei, un non-agir qui ne signifie pas passivité (rien à voir avec une petite sieste postprandiale sous un arbre, les doigts de pieds en éventail – par ailleurs, c’est un très gros effort d’avoir les doigts de pieds en éventail, je vous assure : essayez !), mais plutôt conformité de l'action à la nature des choses et des êtres.
Certains textes montrent combien la connaissance humaine est limitée. La logique, les raisonnements poussés à l’extrême , peuvent devenir pervers et sont des leurres. Souvent l’histoire se clôt sur un non sens patent qui n’est là que pour nous faire prendre conscience d’une autre vérité. Où est la frontière entre le rêve et la réalité ? Où est la frontière entre la connaissance et l’ignorance ? Est-ce déterminant ?
"Le rêve du papillon" est sans doute le passage le plus connu du Zhuangzi et pose la question de la nature de la réalité...
Dans notre volonté de tout contrôler, nous scindons la réalité, ce qui nous donne l’impression de mieux la maitriser. Nous oublions ce qu’est l’expérience immédiate –et donc incontrôlable.
L’unité avec le Dao ne peut être atteinte que par le détachement, la quiétude (contraire de l’inquiétude !), ne pas se demander où cela nous mène, mais simplement suivre.
« L’homme authentique » qui atteint cet état est le sage par excellence, invincible, rien ne le touche. (NB : ce nom « homme authentique » est souvent utilisé dans la dénomination de mouvements de formes de Dao Yin Yang Sheng Gong »)
Si vous voulez butiner plus, il vous suffit de voleter tranquillement, de vous poser chez votre libraire et de chercher "Le rêve du papillon", de Tchouang Tseu (et oui, une autre transcription!!!), par exemple aux éditions Albin Michel, collection "spiritualités vivantes".
Quel intérêt pour nos pratiques :
Ben, oui, nous ne sommes que des humains et nous cherchons à savoir en quoi ces lectures nous apportent quelque chose (on peut aussi régler le problème autrement et se dire que, si toute connaissance est vaine, ce n’est pas la peine de passer un weekend sur cette œuvre… Mais, bon, c’est un peu facile ça !!!)
Deux idées peuvent êtres pertinentes :
Que faisons-nous en Tui shou ? Adhérer, coller, suivre…, se détendre, être présent à l’action qui se fait, ne pas s’opposer directement… Avez-vous remarqué comme les idées préconçues se prêtent peu au Tui shou ? Si vous partez avec l’idée que vous allez faire ceci ou cela, c’est-à-dire que vous partez en voulant contrôler ce qui va se passer, en général, il n’en sort rien de bon (rien du tout même !)
Il vaut mieux s’adapter et ne rien imposer. C’est très Zhuangzi tout ça !!!
Dans un autre texte de ce recueil « Le boucher de Ding », il est question des artisans dont le savoir-faire est si ancien qu’il en devient une seconde nature, il devient instinctif et leur pratique est en accord total avec la nature. L’art acquis, nous sommes dans le « sans effort », le lâcher-prise.
Nous sommes des artisans en Tai ji quan, lorsque nous pratiquons, notre esprit est libre, nous sommes plus instinctifs que « raisonnés ».
Bon, je vois les sourires en coin d’ici… On est d’accord, ça ne vient pas tout de suite, d’ailleurs le boucher dit : « Au début, je ne voyais que le bœuf ; à présent mon esprit opère plus que ma vue » …
Et nous au début, nous sommes focalisés sur les détails, ce qui disperse notre pensée et ne permet pas à notre forme d’être fluide. Mais au fil du temps…
Bref, il ne faut pas croire que ces « vieux » textes soient dépassés. Il y a bien des sujets de réflexion pour les soirées d’hiver ou … les siestes d’été au frais au milieu de cette nature simple et en perpétuelle mutation.