Il faut de temps à autre (re)parler du Tui Shou (推手 ; Tuī Shǒu), le « laissé pour compte » de beaucoup de cours de Tai Ji Quan… Beaucoup d’enseignants disent que les élèves s’ennuient et n’aiment pas travailler à deux. Pourtant ce n’est qu’ainsi que l’on peut accéder à la compréhension d’un autre « pan » de notre pratique.
Ce qui peut devenir un art (avec de nombreuses heures de vol !!!), est au début surtout un jeu. C’est un outil majeur dans l’apprentissage du Tai Ji Quan (qui, rappelons-le, n’est pas uniquement la récitation fidèle d’une forme…)
LES DEBUTS : CODIFIES
La progression dans le Tui Shou est structurée par une succession d’exercices codifiés, dont la complexité et la vitesse augmentent pour progressivement arriver au combat libre. On commence par une main, puis on apprend à « tourner » des mains…
Xiao Long aime bien le terme « tourner », car il met en relief le fondement de l’exercice : la circularité … qui est partout et à chaque étape du contact, de la déviation, de l’absorption, de la transformation. Il y a du Yin / Yang dans l’air !!!
Le Tuishou est un travail à deux : on apprend au début à se positionner correctement face à un son partenaire (je ne parle pas d’adversaire… non, non…), à la bonne distance, correctement enraciné et en respectant la rectitude (et non la raideur) du corps.
On cherche à contrôler les articulations, puis on apprend à suivre les changements de direction, à s’adapter aux mouvements du partenaire pour développer des qualités d’écoute de l’autre qui seront très utiles par la suite, pour le libre par exemple... Toutes les articulations doivent être contrôlées : la main, le coude, l’épaule, et pour cela différentes combinaisons sont possibles… on a l’embarras du choix !
Ces « jeux » codifiés sont aussi un support pour appréhender les applications martiales dans le mouvement. Le contact permanent avec l’adversaire est difficile à maintenir au début. La « main » (ou avant-bras) suit constamment l’autre dans un contact le plus léger possible et sans jamais le perdre, quels que soient les changements de rythme, de direction, de force. On ne « casse » pas le mouvement, on ne lâche pas, on ne force pas, on ne s’arrête pas…
L’apprentissage commence le plus souvent lorsqu’une première forme est maîtrisée, car il faut quelques bases techniques avant de se lancer… sans quoi le Tuishou n’aura qu’une portée très limitée…
La pratique du Tuishou devient indispensable à un certain moment, car c’est à travers le travail à deux que l’on valide la pertinence de la technique de la forme. Le Tuishou permet de comprendre, de ressentir une technique par l’interaction. Les choses prennent du volume et lorsqu’on retourne ensuite à la pratique, on l’aborde souvent différemment.
Une application martiale n’est vraiment maîtrisée que lorsque qu’on est capable de l’utiliser lors des Tuishou et avec différents partenaires. Un enseignant qui ne connait pas l’utilisation correcte des mouvements aura du mal à transmettre les bases même des premiers mouvements, et transmettra une boxe vide.
LIBRE :
L’envisager comme un jeu ouvre des perspectives : On peut essayer de déstabiliser le partenaire amicalement en trouvant son point faible sans être obnubilé par le désir de « gagner », le Tui Shou est moins un combat qu’un échange. On peut apprendre à se connaitre et à reconnaitre ses limites. On peut apprendre à percevoir l’intention du partenaire avant qu’il ne fasse le mouvement (b Toutes les articulations doivent être contrôlées ; la main, le coude, l’épaule, et pour cela différentes combinaisons sont possibles on là, ‘faut pas rêver non plus…il faut déjà pratiquer un peu pour y arriver...)
C’est une forme de communication non verbale.
Cette pratique de poussée des mains nous permet de progresser sur tous les plans (tendino-musculaire- correction posturale – enracinement – fluidité - écoute - présence …) accompagné par notre partenaire.
Ce travail à deux de « poussée des mains » s’effectue à courte distance et en contact constant avec le partenaire. Il permet de développer la synchronisation, d’apprendre à relâcher les articulations et les muscles, afin de mieux percevoir la force et les intentions du partenaire et d’absorber ses assauts sans (trop) céder au déséquilibre.
Le principe à appliquer est celui du Yin et du Yang (pas de surprise…), on détend son corps tout en restant « présent » dans l’action, on ne s’oppose pas directement par la force (pas de Yang contre Yang.. syndrome des « deux vaches » comme dirait Maitre Yuan !).
On utilise le Yin pour neutraliser la force de l’adversaire, on absorbe, on accueille, avant de renvoyer. Affinant les sensations le jeu peu devenir très subtil… Dans ce cadre, le Tui Shou devient une forme de lâcher-prise, une pratique relaxante.
On ne parlera pas ici de l’aspect compétition… c’est autre chose… (On y bourrine trop souvent et cela n’a plus grand-chose à voir avec le Tuishou… Opinion qui n’engage que Xiao Long, Dragon indépendant…)
Du côté « obscur » de la force (je plaisante !) Le Tui Shou intègre de nombreuses techniques telles que les Qinna (擒拿 ; qínná : saisies et luxations), les frappes des poings, des coudes, des épaules, des hanches, les projections, les blocages où verrouillages, les immobilisations, les balayages…
Mais, bon, Xiao Long a arrêté depuis hier…
RAPPEL :
Tui Shou est le plus souvent traduit par « poussée des mains ». Et pourtant, ce ne sont pas les mains qui poussent, mais l’ensemble du corps. Comme dans tous les mouvements de Tai Ji Quan, le corps entier participe et la force musculaire passe au second plan (enfin… devrait passer au second plan…)
Les « mains » sont le point de contact, la paume, le poignet voire l’avant-bras sont le prolongement des mains …
Le but du Tuishou
L’objectif ultime étant de « connaître l’autre sans se laisser connaître » (principe tiré du Sunzu Bingfa, l’art de la guerre).
Ainsi ce n’est pas forcément celui qui lance l’action qui sera à son avantage… au contraire, il vaut mieux laisser faire l’autre pour utiliser son « point faible »…
Pour connaître l’autre, un seul point de contact est insuffisant, mais dès lors que l’on possède trois points de contact, il est possible de travailler sans regarder l’adversaire, et même en fermant les yeux tout en sachant anticiper le moindre mouvement.
« 手势两扇门,全靠步赢人 » ; shǒu shì liǎng shàn mén, quán kào bù yíng rén
« La gestuelle des mains ne sont qu’agitation,
La victoire vient des déplacements »
LES GENRES
Les Tuishou fixes (剜花推手 ; wān huā tuīshǒu) : on reste sur place
Le Tuishou mobile (活步推手 ; huó bù tuīshǒu) : on recule ou avance d’un pas , puis les déplacements sont progressivement de plus en plus complexes et rapides
Les Tuishou à déplacements circulaires (花脚步推手 ; huā jiǎo bù tuīshǒu) : petits pas circulaires ou grands pas circulaires
Le Tuishou à déplacements libres (散步推手 ; sǎn bù tuīshǒu) :
Le contact est toujours gardé, les changements du haut du corps ainsi que les déplacements ne sont pas codifiés, il faut changer de direction sans se soucier d’une chorégraphie, dès lors qu’une force s’oppose…
Lorsque toutes les étapes précédentes sont maîtrisées, le contact disparaît progressivement et l’on rentre alors dans le Sanshou (combat libre).